En 2013, le scandale de fraude à la viande de cheval – plus de 4 millions de plats préparés censés contenir de la viande de bœuf contenaient en réalité de la viande de cheval – remet sur le devant de la scène les multiples carences du système de traçabilité alimentaire européen et renforce la déception des consommateurs vis à vis des industries agro-alimentaires.

Deux ans plus tard, aux États-Unis cette fois, plusieurs restaurants de la franchise Chipotle sont frappés par une affaire de contamination à la bactérie E.coli. Elle infecte plus de 55 personnes, dont plusieurs sont hospitalisées. L’incapacité de la marque à circonscrire rapidement les contaminations, signe d’un manque de contrôle en temps réel de sa supply-chain, fait d’ailleurs plonger le prix de l’action de l’entreprise de 42%.

Ces exemples de scandales alimentaires ; qui se répètent inlassablement depuis la crise de la vache folle au début des années 2000, ont de multiples répercussions sur le comportement des consommateurs. Une bascule s’opère ainsi dans les années 2010 avec l’apparition de profils de « consom’acteurs » souhaitant davantage de transparence et d’informations sur les produits alimentaires.

Selon TNS Sofrès, entre 2008 et 2013, la satisfaction des consommateurs concernant la sécurité des produits et les informations présentées sur les étiquettes chute ainsi d’environ 20 points. Et avec cette baisse de confiance, la question de la traçabilité commence à s’imposer petit à petit.

La traçabilité est un outil dont la fonction première est d’optimiser la supply-chain

Moins de dix ans plus tard, cette tendance pourrait encore prendre un coup d’accélération en raison de la transition écologique de notre système agro-alimentaire, qui vient s’ajouter aux attentes des consommateurs. Grâce aux innovations technologiques, notamment la tendance du food scanning popularisé par la startup Yuka, mais aussi du déploiement de la blockchain, cette notion de traçabilité et de transparence s’affirme comme l’une des grandes tendances actuelles de la FoodTech.


La traçabilité alimentaire, c’est quoi ?

Si l’on se réfère à la définition du Parlement européen de 2002 (règlement CE 178/2002), la traçabilité alimentaire est « la capacité à retrouver, à travers les étapes de production, de transformation et de distribution, le cheminement de denrées alimentaires ou de substances destinées à être incorporées dans une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux ».

La traçabilité alimentaire n’est cependant pas un domaine émergeant. Dès 1992, la directive européenne pour la sécurité alimentaire générale spécifie que la sécurité de tous les produits doit être garantie. En France, un système pour le retrait des produits en rayon des points de vente est également prévu dans la loi depuis 1983 (loi n° 83-660 du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs).

Enfin, en 2002, le règlement CEE TRACABILITE 178/2002 (article 18 de la General Food Law) vise à standardiser la législation en matière de denrées alimentaires dans l’UE, s’appliquant à toutes les entreprises de la chaîne alimentaire y compris les producteurs d’aliments pour animaux.

Les exploitants du secteur alimentaire doivent ainsi être en mesure d’identifier toute personne leur ayant fourni une denrée alimentaire et d’identifier les entreprises auxquelles leurs produits ont été fournis. À cet effet, ces exploitants doivent disposer de systèmes et de procédures permettant de mettre l’information en question à la disposition des autorités compétentes, à la demande de celles-ci.


La traçabilité alimentaire, pourquoi faire ?

La traçabilité alimentaire est indéniablement liée à la question de la sécurité sanitaire. En premier lieu, elle a donc été conçue pour permettre le rappel de lots en cas de non-conformité. D’autant que plus le retrait est rapide et précis, plus les répercussions négatives en termes d’image et de pertes financières pour l’entreprise sont réduites. La traçabilité est ainsi un outil dont la fonction première est d’optimiser la supply-chain

Pour les consommateurs, la traçabilité alimentaire permet d’effectuer des achats éclairés et de retrouver un peu de confiance en son alimentation


Améliorer la supply-chain

Un système de traçabilité adéquat permet ainsi à une entreprise de l’agro-alimentaire d’améliorer la gestion de ses flux de produits, de ses stocks, de ses procédés et ainsi gagner en qualité, sécurité et productivité. Au-delà de la question sanitaire et d’une meilleure gestion de la chaîne d’approvisionnement, il s’agit aussi pour les marques de lutter, par exemple, contre la fraude qui, dans la supply-chain alimentaire, s’élèverait jusqu’à 40 milliards de dollars par an (étude Pwc, 2016).  

Mais dans un monde qui change, la notion de traçabilité alimentaire pourrait aussi servir les marques et distributeurs dans l’optique de mettre en valeur leurs producteurs et partenaires ; ainsi qu’à rassurer et recréer le lien perdu avec les consommateurs, ou encore lutter contre le gaspillage alimentaire.


Recréer du lien et de la confiance entre producteurs et consommateurs

Pour les consommateurs, la traçabilité alimentaire permet d’effectuer des achats éclairés et de retrouver un peu de confiance en son alimentation. C’est aussi une manière de créer du lien avec les producteurs locaux, ainsi que le propose par exemple la startup My Food Story.

Un créneau exploré par d’autres producteurs, à l’image de Poulehouse. L’entreprise qui mise sur le bien-être animal a équipé son site de production de webcams pour permettre aux consommateurs de voir les conditions réelles d’élevage de leurs poules. Bientôt, grâce à la blockchain, elle espère même pouvoir préciser quelles poules sont responsables des oeufs achetés.


Favoriser l’essor de pratiques durables

Cette notion de traçabilité alimentaire vient aussi encourager, par exemple, le déploiement de pratiques durables. Elle permet en effet de rassurer les consommateurs sur les modèles d’élevage ou de cultures : avec sous sans produits phytosanitaires, élevage en plein air, etc.

À terme, cela pourrait servir pour fiabiliser davantage la filière biologique. Aujourd’hui, la bio est submergée par des pratiques de greenwashing, par la multiplication de labels ou encore par des cahiers des charges différents entre les pays de l’UE. L’utilisation de la blockchain pour certifier les filières d’approvisionnement de l’agriculture biologique pourrait permettre de répondre à ces freins.

À une époque où l’information sur les produits a définitivement pris le dessus sur la guerre des prix-bas ; mais aussi à une époque où il nous faut repenser notre système alimentaire, cette question de transparence devrait continuer de se développer


Quelles innovations pour la traçabilité alimentaire ?


GS1 et le CodeOnline Food 

GS1 – Global Standards 1- est un organisme à but non-lucratif situé à Bruxelles qui développe des standards pour normaliser les méthodes de codage dans la supply-chain. Anciennement nommé Gencod, GS1 est par exemple à l’initiative de la naissance du code-barres en 1974.

En matière de traçabilité, l’organisme est aussi à l’origine du standard EPCIS (Electronic Product Code Information Services) qui permet de décrire chaque événement d’un cycle de production ou de maintenance.

En ce moment, GS1 travaille sur un nouveau produit, le CodeOnline Food, qui permet à ses adhérents de digitaliser les données INCO présentes sur les packagings de leurs produits afin de les rendre accessibles à tous (marketplace, applications smartphone, instituts d’études …). L’objectif de ce CodeOnline Food est ainsi de constituer une base de données de référence pour les produits agroalimentaires vendus en France, et dont la source soit obligatoirement les marques.

Elle contient des données de base sur les produits, ainsi que les données légales, auxquels il faut ajouter les images des produits concernés et des données complémentaires comme le régime alimentaire, les labels ou encore le nutri-score. Autant d’informations qui pourraient être accessibles via le scan d’un emballage et permettre une meilleure information vis à vis des consommateurs.

À noter que ces informations ont également vocation à nourrir les bases de données des applications de Food Scaning.


Le Food Scaning, innovation d’usage qui vient bouleverser la traçabilité des produits alimentaires

Popularisé par l’application-star Yuka, le food scaning est une pratique à la mode dans le domaine de l’alimentaire. Elle permet, via le scan d’un QR Code ou d’un code-barres, d’obtenir des informations sur un produit donné. Particulièrement adapté pour les cosmétiques, produits d’entretiens ou produits alimentaires, cette pratique a été largement adoptée par les consommateurs ces dernières années.

Repris par d’autres startups comme Scan’Up mais aussi par l’UFC-Que Choisir ou encore la marque C’est qui le patron!, les applications de food scaning se développent à plus grande échelle et commencent à intégrer d’autres informations que les informations nutritionnelles. En intégrant les informations de traçabilité sur les aliments (lieu de production, méthodes d’élevage ou de culture, etc.) ces applications pourraient affiner la pertinence des informations apportées à leurs utilisateurs.


La blockchain

la blockchain est une autre tendance technologique qui permet de répondre à cet enjeu de traçabilité alimentaire. Apparue via l’essor des cryptomonaies, la blockchain permet de sécuriser et de faciliter les échanges de données entre différentes parties prenantes.

Tout un écosystème regroupant des grands noms de l’IT (Intel, IBM, Microsoft), des distributeurs (Carrefour, Walmart, Alibaba) ou encore de jeunes startups innovantes explorent actuellement cette piste, véritable maillon essentiel au développement et à la garantie de la traçabilité de nos aliments.

À une époque où l’information sur les produits a définitivement pris le dessus sur la guerre des prix-bas ; mais aussi à une époque où il nous faut repenser notre système alimentaire, cette question de transparence devrait continuer de se développer. En grande partie pour le développement, également, de l’alimentation locale. Une autre tendance qui devrait se développer dans les prochaines années.