Les tensions climatiques et plus récemment sanitaires ont comme effet de nous pousser à repenser notre impact sur le monde, et plus particulièrement l’impact de nos modes de consommation et de production. Jusqu’à récemment, la limite à la consommation était bien souvent uniquement d’ordre monétaire et celle de la production de l’ordre du bénéfice. Désormais, les enjeux environnementaux impliquent d’ajouter à ces variables celles du développement durable.

Ainsi, la société de consommation qui aura développé des pratiques telles que la fast fashion ou encore l’obsolescence programmée, doit désormais se réinventer et proposer de nouvelles solutions. Dans cette logique, le concept de mutualisation et de partage semble tenir la corde pour nous inciter à des comportements plus raisonnables.

Ai-je vraiment besoin d’acheter une perceuse si mon voisin peut me prêter la sienne ? Est-il nécessaire de construire un bâtiment pour accueillir un espace de coworking alors que celui-ci pourrait prendre place dans un restaurant universitaire une fois le service terminé ? Les déchets d’une industrie ne peuvent-ils pas représenter les ressources d’une autre ? La mutualisation, par ses nombreuses facettes, nous offre des solutions diverses, mais aussi de nouveaux usages, sources d’innovations et de modèles économiques alternatifs.


L’écologie industrielle, un premier pas vers cette économie mutualisée ?

Si les industriels ont encore aujourd’hui tendance à faire cavalier seul, l’avenir leur dictera sans doute d’exploiter les bénéfices de la collaboration, en particulier dans un territoire donné. C’est notamment ce que promeut l’écologie industrielle, qui se caractérise par la mise en commun volontaire de ressources par des acteurs de terrain en vue de les économiser ou d’en améliorer la productivité.

Cette écologie industrielle peut se matérialiser de deux sortes : par la mise en place de systèmes circulaires entre les industries (les déchets des uns deviennent les ressources des autres) et/ou par des synergies de mutualisation (approvisionnements communs, partages d’équipements ou de ressources…).

Pionnière de ce mouvement, on retrouve notamment la commune de Kalundborg au Danemark. A l’origine du circuit vertueux qu’elle a mis en place se trouve l’eau du lac Tissø : après son utilisation par une entreprise elle est introduite dans la production d’une autre sous forme de matière première ou de source d’énergie en fonction de son état. Ainsi, par exemple, la centrale électrique de Kalundborg fait bénéficier de sa vapeur à la raffinerie de pétrole qui, en retour, renvoie à la centrale ses eaux usées pour son refroidissement. Les eaux, une fois devenues tièdes, se dirigent ensuite vers une ferme piscicole afin de favoriser la croissance des espèces.

En France, c’est Dunkerque qui s’attire les mérites de cette pratique. Parmi les nombreux exemples de synergies et de mutualisation que la ville met en place, on peut noter la création du plus important réseau de chaleur de France qui est permis grâce à la récupération de la chaleur fatale issue des hauts fourneaux d’ArcelorMittal.

Mais pour aller plus loin et trouver de nouvelles pistes de mutualisation (en particulier des espaces, des machines, ou autres ressources) de multiples sources d’inspiration sont à retrouver chez les urbanistes et architectes qui réfléchissent à la ville de demain. Car il faut être bien malin pour développer les villes sans artificialiser les sols. Or, d’après le think-tank Terra Nova, c’est presque 20% d’espace supplémentaire qu’il est possible de dégager dans nos villes grâce à la mutualisation des espaces.

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parking vu du ciel
En France, 5 millions de places de parking sont disponibles dans les parcs privés, et sont peu et mal utilisées.


Mutualiser les espaces pour densifier la ville plutôt que l’étaler

Nos villes font face au défi de l’étalement urbain. S’il peut sembler nécessaire pour accueillir une population urbaine qui ne cesse de croître, il est limité par l’enjeu de l’artificialisation des sols. Il faut donc apprendre à donner plus d’usages urbains aux sols déjà artificialisés au lieu d’en consommer de nouveaux, principe qui fait partie intégrante du concept d’urbanisme circulaire.

Selon Marc-Olivier Padis, du think-tank Terra Nova, « on ne va pas changer fondamentalement la physionomie de la ville. Il va falloir la densifier« . Et pour densifier, il faut réapprendre à utiliser mieux les 80% du bâti de 2040 qui est d’ores et déjà à notre disposition. C’est là qu’intervient la mutualisation.

En effet, alors que les bureaux sont vides la nuit et les maisons la journée, la mutualisation est un moyen pertinent d’optimiser ces mètres carrés utilisés seulement la moitié du temps. « On peut imaginer une ville durable dans laquelle on repense les usages des immeubles. Il ne s’agit pas de partager à 100%. Mais on peut quand même partager 20% des espaces » précise Marc-Olivier Padis.

D’après le think-tank Terra Nova, c’est presque 20% d’espace supplémentaire qu’il est possible de dégager dans nos villes grâce à la mutualisation des espaces.


Ainsi, de plus en plus de projets répondent à ce concept de ville partagée. C’est par exemple le cas du Mab’Lab, un restaurant universitaire parisien qui devient un espace de co-working pour les étudiants et les entrepreneurs lorsque le service est fini. Ce lieu accueille aussi des événements animés par des formateurs et professionnels qui souhaitent partager leur vision et leur expérience aux futurs entrepreneurs.

La plateforme HomeExange s’inscrit également dans cette dynamique. Elle propose à ses utilisateurs d’échanger des maisons ou des appartements le temps d’un séjour et représente une alternative à la location et à la construction de résidences de vacances.

Autre exemple de cette logique de mutualisation en ville avec la startup Zenpark, qui travaille sur une solution technologique permettant de partager, voire de mutualiser intelligemment les places d’un parking souterrain face au constat qu’en France, 5 millions de places de parking sont disponibles dans les parcs privés, et sont peu et mal utilisées. Un parking d’entreprise, par exemple, est vide la nuit alors même que des riverains pourraient l’utiliser. “Aujourd’hui, dans une zone nouvellement construite, on ne vise qu’un seul parking qui va répondre à tous les usages : résidentiel, tertiaire et qui peut faire office de parking public » nous précisait à ce sujet William Rosenfeld, CEO de Zenpark.

Si densifier la ville paraît donc aujourd’hui essentiel, ce processus doit passer par une analyse fine des usages de ses habitants puisque c’est en fonction de ces derniers et de leurs habitudes qu’un espace est plus ou moins occupé.

Grâce à l’analyse en temps réel des usages, on a crée l’équivalent de 30% de places supplémentaires sur un parking

William Rosenfeld, CEO de Zenpark


L’évolution des usages des citadins : de nouvelles perspectives de densification ?

Lorsque l’on sait qu’en moyenne en Europe, 25% du trafic automobile en ville est lié à la recherche d’une place de stationnement on comprend qu’une innovation comme celle proposée par Zenpark répond à un réel besoin des usagers notamment face au rééquilibrage de l’espace public au profit des mobilités douces qui amène les collectivités à réduire les places de stationnement en voirie.

Une autre question se pose : alors qu’une grande majorité de citadins vivent dans des appartements, n’y-a-t-il pas dans leurs usages des mutualisations possibles à mettre en place ? Dans un immeuble de 15 appartements, avons-nous réellement besoin de 15 lave-linge, où simplement de quelques machines utilisées mutuellement par la copropriété ?

En outre, alors que les projets d’urbanisme s’inscrivent dans le temps long, une anticipation de ces usages est aussi la bienvenue afin d’optimiser la densification de nos villes. Par exemple, si le télétravail se généralise, comme ce fut le cas cette année, bon nombre d’entreprises vont se retrouver partiellement vidées de leurs occupants. Faudrait-il alors réduire la taille des locaux et réallouer cet espace à d’autres usages ?

Enfin, comment ne pas penser aussi à l’urbanisme transitoire et la création de tiers-lieux éphémères pour occuper des espaces en attente d’être démolis ou réaménagés ? Des espaces qui sont généralement eux-mêmes conçus comme multi-usages et multi-services (restauration, espace de travail, services de conciergeries, etc.) et qui permettent de donner une utilité à un espace vacant tout en expérimentant ce qu’ils pourraient être demain et les nouveaux usages qui pourront s’y réaliser.

Jardin partagé


La consommation collaborative, solution ultime contre la surproduction ?

Car nos usages ne cessent d’évoluer, que ce soit par des changements d’aspirations ou grâce à des innovations qui offrent de nouvelles perspectives. La consommation collaborative est un exemple pertinent d’usage qui tend à revenir sur le devant de la scène face à un renouveau du rapport à la propriété. En effet, d’après une étude de la Direction Générale des Entreprises (DGE), en 2015, neuf français sur dix avaient alors déjà réalisé un acte de consommation collaborative, et deux tiers d’entre eux avouaient être désormais prêts à partager leurs objets plutôt que de les posséder.

Et pour cause, selon l’Ademe, 80% de nos objets servent moins de trois fois par an. Pourquoi alors ne pas les prêter aux autres personnes qui en auraient besoin eux aussi de façon occasionnelle ? Si cette pratique représente un avantage économique pour ceux qui favorisent l’emprunt à l’achat, elle permet aussi de réduire la production d’objets et les conséquences que l’activité industrielle peut avoir sur l’environnement.

Ainsi, on retrouve de plus en plus d’exemples de société ayant pris à bras le corps cette problématique, comme la startup nantaise Allo Voisins, qui met en relations les particuliers autour de la location de matériel ou l’échange de services. Cette transmission, on la retrouve aussi dans les Fab labs, ces lieux qui mettent à disposition de leurs utilisateurs un ensemble de machines à commande numérique de niveau professionnel telles que des imprimantes 3D. Ces laboratoires ouverts de création et de prototypage d’objets physiques sont des lieux qui favorisent l’entraide et l’échange de compétences.

Alors que 80% de nos objets servent moins de trois fois par an, deux tiers des français se disent désormais prêts à partager leurs objets plutôt que de les posséder


Car cet échange de compétences est une des externalités positives de la consommation collaborative. C’est tout le principe des jardins ou potagers partagés par exemple. En s’associant à d’autres il est possible de développer ses compétences et d’apporter une valeur ajoutée d’autant plus grande au projet.

C’est par exemple ce que propose la plateforme web Savez-vous planter chez nous, qui met en relation des propriétaires de jardins qui souhaiteraient avoir un potager mais qui n’ont ni le temps, ni le savoir-faire pour s’en occuper, avec des personnes qui aimeraient cultiver un potager mais qui n’ont pas de jardin. Les seconds sont donc invités à venir cultiver le jardin des premiers et, à la fin, tout le monde se partage le fruit de la récolte.

Une façon de ramener une production locale au cœur des villes à l’image de ce que proposent aussi des entreprises spécialisées dans les circuits-courts.


Mutualiser les circuits-courts : plus simple et moins cher

Dans ces circuits, on retrouve aussi une logique de mutualisation. Un des exemples courants est notamment la mise en place de marché qui, un même jour, sur un même lieu, regroupe les divers producteurs locaux et facilite ainsi l’accès à leurs produits.

Mais les circuits-courts tendent aussi à se développer hors des marchés traditionnels, soutenus par des entreprises qui s’appliquent à recréer cette pratique de mutualisation dans une logique de logistique simplifiée et de réduction des coûts. C’est par exemple le cas de La Charrette, qui propose aux producteurs un service de colivraison. Au lieu de multiplier les livraisons de petites quantités de produits, un producteur peut avec ce service en profiter pour effectuer les livraisons de ses collègues, ou proposer à un autre exploitant de livrer pour lui.

Promus cherche aussi à simplifier la logistique des circuits-courts en proposant aux producteurs de déposer directement leurs produits dans une box de proximité qui seront ensuite pris en charge par le service de livraison de Promus avec les autres produits des producteurs locaux afin d’être acheminés vers les professionnels de la restauration.

Aujourd’hui, un producteur indépendant passe entre deux et trois demi-journées à livrer ses produits. Pourquoi donc ne pas mutualiser ses livraisons avec celles d’autres producteurs afin de gagner du temps ?


Autant de solutions qui permettent aux producteurs de gagner du temps en économisant un certain nombre de déplacements qui sont autant d’émissions de CO2 en moins. Encore un autre avantage de la mutualisation qui, appliquée aux transports, permet une réduction des émissions de CO2 de ceux-ci.

Vélopartage


La mutualisation, une clé pour décarboner les transports

Lorsque l’on parle de mutualisation des transports, on pense évidemment aux transports en commun. La solution est vieille comme le monde, où plutôt comme la création de la Compagnie Générale de l’Omnibus en 1826.

En effet, ils représentent parfaitement cette logique : de par le fait que plusieurs personnes utilisent un même transport on réduit le coût individuel du déplacement tout en diminuant l’impact environnemental de celui-ci puisque, pour une quantité de gaz à effet de serre émise par un déplacement, on transporte davantage de personnes que par l’utilisation de voitures individuelle par exemple. Un impact environnemental réduit qui devrait l’être d’autant plus que la mobilité lourde devrait être la première de la mobilité routière à bénéficier d’innovation bas-carbone telles que le bioGNV ou encore l’hydrogène pour se déplacer.

Ainsi, ayant fait ses preuves tant par la compression des coûts qu’ils permettent à leurs utilisateurs que l’impact environnemental réduit qu’il crée, ce modèle de mutualisation de transport s’est développé. Et quoi de plus révélateur de ce développement que l’essor du covoiturage ? Alors que cette pratique a été amorcée par des acteurs bien connus aujourd’hui tels que Blablacar pour des longs trajets, elle tend à se développer pour de nouveaux usages.

Pour se rendre à des évènements par exemple, des entreprises comme Mobicoop ou Popsleig propose des services de covoiturage spécifiques alors que d’autres acteurs se positionnent sur la mobilité quotidienne. L’entreprise Karos propose notamment du « court voiturage » pour les trajets domicile-travail grâce à une application qui permet de mettre automatiquement en relation des conducteurs et passagers. C’est aussi ce que propose Klaxit qui, pour créer des réseaux de covoiturage locaux, s’appuie sur les entreprises afin que celles-ci proposent le service à leurs collaborateurs ainsi que sur les collectivités territoriales qui peuvent subventionner les trajets effectués en covoiturage.

L’autopartage remplacerait jusqu’à 7 voitures particulières et libèrerait jusqu’à 6 places de stationnement.

Etude du bureau d’études 6t en 2013


Et, pour les déplacements occasionnels, il est aussi possible de recourir à l’autopartage. Ce concept, développé par des entreprises comme Getaroung (ex Drivy) ou Ouicar, permet de louer de manière occasionnelle une voiture directement auprès de son propriétaire qui n’en a pas l’utilité. Les métropoles se sont aussi emparées du concept en proposant des flottes de voitures en libre service comme les Marguerites à Nantes ou encore les Totem Mobi à Marseille et Montpellier.

Enfin, face au constat qu’aujourd’hui en France, les parcs automobiles des entreprises et collectivités génèrent plus de la moitié des immatriculations de véhicules particuliers neufs, certaines entreprises ont décidé de développer l’autopartage au monde de l’entreprise telles que Ubeeqo, Mobility Etch Green ou plus récemment Flexy Moov. D’autres entreprises comme Green On étende aussi le concept au vélopartage en entreprises.

Car on n’aura pas manqué de remarquer le retour du vélo dans nos pratiques de mobilité, soutenu par les politiques publiques d’aménagement du territoire et d’accessibilité à cette mobilité douce. Du vélopartage qui peut donc être encouragé par les entreprises ou les métropoles qui ont la possibilité de proposer cette mobilité en free-floating sans réservation, avec mise à disposition et restitution des vélos dans une zone limitée.

Si ces nouvelles formes de mutualisation sont en partie favorisées par l’émergence de plateformes spécialisées qui permettent, via la technologie, une mise en relation efficace et personnalisée des usagers, c’est aussi un retour vers des pratiques plus solidaires qui s’opère avec cette économie du partage. Car si l’innovation a du bon, il y a aussi dans nos modes de vie pré-consuméristes des pratiques vertueuses à remettre au goût du jour.

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