On estime que 70% à 80% de la population mondiale vivra en ville d’ici 2050. Un exode vers la ville qui laisse un vide dans nos campagnes. Et qui voit d’immenses métropoles se créer en parallèle autour des principaux pôles économiques du pays. À titre d’exemple, Nantes Métropole, 5ème ville française, a vu sa population augmenter de plus de 40 000 habitants entre 2012 et 2017.

Face au sentiment d’abandon qui s’installe dans les territoires ruraux, des associations de citoyen.nes se sont mis à créer des « tiers lieux » afin d’assurer la vitalité économique et le dynamisme social de nos villes et villages de campagnes. Un mouvement soutenu depuis peu par les pouvoirs publics, qui y voient une manière d’assurer la cohésion des territoires. Et là où les métropoles s’érigent toutes en « smart city » (à l’image, récemment, de Dijon ou d’Angers), ces nouvelles organisations au coeur de nos villages dessinent aussi une autre vision de la ville durable.

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En ville ou à la campagne, les tiers-lieux se développent

Les tiers-lieux s’organisent généralement autour d’activités économiques (espaces de coworking, incubateurs), autour de l’innovation technologique et sociale (Fablab, laboratoires citoyens, living labs), d’activités culturelles et associatives et, enfin, d’activités de service public (conciergeries, bibliothèques, etc.). Ces espaces sont majoritairement porté par des modèles associatifs mais sont aussi gérés par des entrepreneurs voire par des montages qui associent les pouvoirs publics à des entreprises et associations.

Il en existe aujourd’hui près de 1 800 sur le territoire français. Et l’État, via le plan « nouveaux lieux, nouveaux liens », vise à soutenir 300 projets de ce type, et notamment d’en implanter davantage dans les quartiers prioritaires. L’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine) a d’ailleurs crée – en partenariat avec Amundi – un fonds d’investissement pour soutenir ces projets dans les quartiers. En particulier car ces endroits sont des facilitateurs de lien social, d’inclusion, et de partage.

Mais au-delà des quartiers prioritaires, les zones rurales sont les premières à miser sur ces mouvements. Cela répond à deux nécessités : ne pas couper les villages du reste du monde ; et leur permettre d’attirer dans de bonnes conditions les « urbains » qui cherchent un meilleur cadre de vie à la campagne. Grâce à ces lieux, de nouveaux modes d’organisation de la société et du travail sont en effet en train de se créer – le télétravail en fait partie. Ce sont aussi de nouveaux modes d’organisation de la vie économique de ces territoires qui est intéressante, avec la mise en réseau des compétences, mais également la mise en réseau des villages entre eux.


Des espaces mutualisés et multi-services

« Un village sur deux, en France, n’a plus de commerces de proximité » explique Virginie Hills, qui travaille pour Comptoir de Campagne, un réseau qui réinstalle des commerces multiservices en zone rurale. « Ces lieux permettent de redonner accès à des commerces, mais aussi de redonner du sens et du bien-être aux habitants ». Pour cela, le développement de tiers-lieux permet d’apporter à la fois une continuité de service et un épanouissement économique tout en créant des espaces de rencontres et de vie.

« Avoir un bureau de poste dans petit village n’a plus lieu d’être par exemple. Mais on peut mutualiser les espaces. Par exemple, une épicerie qui propose des produits locaux en circuit-court mais aussi des services pour le courrier, le pressing, le repassage, ou la vente billets de trains ; et qui est aussi un espace salon thé/snacking ». Cette vision mutualisée des espaces et des métiers, c’est une des approches de la ville durable qui émerge aussi bien dans les territoires ruraux que dans les métropoles. La mutualisation des espaces urbains est l’une des pistes évoquées par le think-tank Terra Nova pour la ville de demain, par exemple. De la même manière que des startup comme Zenpark travaillent aujourd’hui sur la mutualisation des parking.

Dans les territoires ruraux, cette mutualisation des espaces s’approche aussi d’une mise en réseaux des villages. « On va faire venir un conseiller bancaire le lundi, un coiffeur le mardi et on essaie de travailler avec les villages à côté pour allouer au mieux ces ressources » ajoute Virginie Hills à ce sujet. Un maillage territorial qui permet de revitaliser les communes et certaines activités économiques. « En France, on parle souvent de fracture territoriale, mais en réalité, on est dans un système relativement équilibré, notamment parce qu’on a des infrastructures de transport qui permettent un maillage très complet du territoire » abonde en ce sens Marc-Olivier Padis, de Terra Nova.

transfert tiers lieux culturel
Transfert, « tiers-lieux » culturel près de Nantes.


Un développement économique local en circuit-court

« On parle de ville durable, mais on peut tout aussi bien faire face à une fuite de la ville. En particulier avec le scénario des actifs bi-localisés. Vous travaillez 3 jours à la ville, vous habitez les 4 autres jours à la campagne. Avec le télétravail, les outils numériques, aujourd’hui c’est possible d’envisager cela ». Possible, à condition d’avoir aussi les infrastructures et les lieux pour. Là encore, le développement des tiers-lieux en zones rurales permet de réduire cette fracture numérique entre les zones urbaines et rurales.

Par ailleurs, la création de ces lieux alternatifs au coeur de nos villages permet aussi de repenser la vie économie de ces territoires autour de leurs atouts historiques. En matière d’alimentation, notamment, ces initiatives redonnent du sens à la consommation de produits locaux. La mise en place de circuits-courts pour l’alimentation, mais aussi pour d’autres domaines, en sont les premiers exemples. Dans la foulée des tiers-lieux et des épiceries locales, des projets collectifs et citoyens émergent autour des énergies renouvelables, par exemple. En particulier pour des projets de méthanisation, qui permettent aux agriculteurs de fournir du gaz renouvelable en valorisant les effluents de leurs élevages.

Mais ces approches sont aussi freinées par des investissements de départ qu’il est difficile d’obtenir. « L’accès aux investisseurs est difficile, en particulier pour des projets immobiliers » précise Raphaël Boutin, de Villages Vivants, une foncière solidaire et rurale qui achète et rénove des locaux pour permettre le développement de ces tiers-lieux dans les villages. Un frein qui passe par énormément de pédagogie aussi bien concernant le modèle économique que le modèle social. « Dans ces projets portés par et pour les citoyens, les pouvoirs publics ont parfois l’impression d’être dépossédé de leur rôle ».

Quoiqu’il en soit, l’essor de ces lieux citoyens et alternatifs, en ville ou à la campagne, ouvrent la voie à de nouveaux modèles d’organisation qui donneront, sans doute – et on l’espère – une certaine renaissance à nos campagnes face à la densification des métropoles.

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