Pour trouver de nouvelles alternatives au traitement des sols pollués aux métaux lourds, les chercheurs de l’INERIS(**) et du CNRS interviennent au moyen de plantes dites « hyperaccumulatrices ». Leur particularité : elles peuvent non seulement survivre sur ces terres contaminées, mais aspirent les métaux lourds contenus dans le sol à travers leurs racines et les stockent dans leurs fibres (feuilles, tiges et troncs).

Attention, elles ne sont pas interchangeables, à chaque plante son métal. D’ailleurs, tous les métaux n’ont pas leur plante attitrée… Pour l’instant, les scientifiques ne connaissent que des plantes capables d’extraire le zinc, le nickel, le manganèse, le cuivre, le thallium et l’aluminium.


La phytoextraction, pour retirer les métaux lourds du sol

Mais cette technique, nommée phytoextraction, peut-elle dépolluer totalement une parcelle ? Oui, répond Claude Grison, écochimiste et directrice du Laboratoire ChimEco (***) (CNRS) à Montpellier. « On peut imaginer une dépollution totale des sols contaminés, à condition de laisser à la nature le temps de faire son œuvre. » Ainsi, sur l’ancien site minier de Saint-Laurent-Le-Minier qu’elle a étudié dans le Gard, il faudrait environ 50 ans pour y arriver. Cela peut sembler long, mais cet ancien bassin minier affiche des concentrations de métaux jusqu’à 500 fois supérieures à la norme, qui rendraient la terre stérile pour des siècles si elle était laissée en l’état !

Mais la priorité n’est pas encore la dépollution totale. Bien souvent l’objectif principal est d’abord de réinstaurer un couvert végétal sur ces terres où plus rien ne pousse. « Ça, c’est de la phytostabilisation : elle permet de limiter l’infiltration profonde des métaux, mais aussi de prévenir l’érosion éolienne des poussières métalliques présentes en surface », explique Claude Grison. Et ce n’est pas le seul impact : une fois la végétation réimplantée, d’autres espèces végétales se réinstallent, et la biodiversité disparue commence, elle aussi, à revenir. 

« L’avantage de la phytoextraction par rapport aux techniques classiques, c’est que l’on ne considère pas la terre comme un déchet mais qu’on la valorise », pointe Arnaud Grignet, doctorant au sein du pôle Technologies propres et économie circulaire de l’INERIS, qui travaille à l’amélioration du procédé de phytoextraction. En effet, au lieu de déplacer le problème par l’excavation (extraction de la terre) et le stockage, ou de tuer la terre en éliminant les polluants par des traitements thermiques et chimiques, la phytoextraction traite le problème sur place et en tire des bénéfices, écologiques mais aussi économiques, grâce à la chimie écologique. 


Des métaux réutilisés à l’infini grâce à l’éco-chimie

Les plantes, une fois chargées de métaux, sont récoltées puis envoyées à Claude Grison, qui a réussi avec son équipe à les transformer en en éco-catalyseurs. Les catalyseurs sont des éléments métalliques qui accélèrent les réactions chimiques, indispensables à la fabrication de tous nos produits de consommation courante, comme les cosmétiques, parfums, médicaments etc.

La quasi-totalité des catalyseurs utilisés aujourd’hui sont issus de l’industrie et polluent à chaque étape de transformation. « Les éco-catalyseurs issus des plantes hyperaccumulatrices ont non seulement une empreinte carbone nulle, mais sont en plus ré-utilisables », s’enthousiasme la chimiste. Après la réaction chimique, ils peuvent en effet être récupérés, par filtration pour les métaux insolubles, et grâce à une technique révolutionnaire pour les métaux solubles ! Le Laboratoire ChimEco a en effet mis au point un filtre végétal à partir de plantes aquatiques qui capte ces métaux dans l’eau, et a donc comme double effet de récupérer les métaux pour refaire des éco-catalyseurs, mais aussi de rendre pure une eau même extrêmement polluée. « Nous traitons des effluents industriels sur notre site du Gard qui sont extrêmement chargés, de quatre métaux différents, et nous arrivons à la dépollution totale », souligne Claude Grison.

De plus, les éco-catalyseurs possèdent une structure unique qui les rend très efficaces et plus sélectifs que ceux de l’industrie chimique classique : ils peuvent être utilisés pour préparer plus de 3500 biomolécules. « À une époque d’épuisement des ressources au niveau mondial, les plantes hyperaccumulatrices représentent un réservoir de métaux extrêmement utile », assure-t-elle.


Vers des technologies encore plus innovantes

Autre technique : la phytodégradation. Certains arbres aspirent non seulement les métaux dans leurs fibres mais captent aussi des substances polluantes, comme les hydrocarbures, dans leur réseau racinaire. Ensuite, avec l’aide de bactéries, ils dégradent ces substances en matières moins toxiques, voire pas toxiques du tout ! L’INERIS travaille notamment sur le saule des vanniers, dont les feuilles sont ensuite transformées en éco-catalyseurs par ChimEco et le bois converti en combustible dans la chaudière à biomasse de l’agglomération de Creil. Pas de panique, les métaux contenus dans le tronc ne sont pas libérés dans l’air mais récupérés grâce à des filtres industriels classiques. 

Ces techniques à l’œuvre depuis plus de dix ans commencent donc à porter leurs fruits et ouvrent de nouvelles perspectives dans de nombreux domaines, car la chimie est partout. Ainsi, le laboratoire de Claude Grison a réussi à transformer une molécule d’une plante hyperaccumulatrice de manganèse en brique élémentaire afin de créer des bioplastiques, quand des entreprises privées s’attèlent à réduire la pollution métallique dans les sols agricoles, à l’image de la start up Biomède. 


*ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
** INERIS : Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques
***ChimEco : Chimie Bio-inspirée et Innovations Ecologiques (CNRS – Université de Montpellier)

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